Better Things
Nassim Amaouche
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Critique

LES GESTES DU MALAISE

Premier film de fiction de Duane Hopkins, un jeune cinéaste anglais auteur de plusieurs courts métrages remarqués et élevé à la meilleure école qui soit, celle de la vénérable BBC britannique, Better Things se démarque dès ses premiers instants en posant un ton, en tentant un langage cinématographique différent de la norme un peu envahissante du cinéma d’auteur contemporain. Loin de l’axe Ken Loach / Mike Leigh, aussi estimable qu’il soit, Better Things se rattache davantage à une autre tradition anglaise oubliée, plus excentrique et visuelle, dont l’un des représentants les plus fameux fut Nicholas Roeg. Ainsi, à la place d’une narration classique et posée, Better Things démarre et se prolonge par une suite de visages, d’instants superposés les uns aux autres, qui finissent par se rejoindre et par laisser apparaître certains points de convergence. Au centre du récit se tient en effet un deuil, celui d’une jeune fille morte d’overdose. Et cette perte nourrit tout le film, en jetant une ombre à la fois sur les amours décrites et sur les nombreuses séquences où les personnages trompent leur ennui en se droguant ou en s’oubliant par tous les moyens possibles. Tous ces instants, tous ces portraits croisés et instantanés, dessinent un portrait sombre de la société anglaise moderne, à la fois dans sa jeunesse et dans sa maturité. Mais les thèmes ainsi présentés dépassent largement le cadre de leur pays, ils sont universels, aptes à toucher n’importe quel spectateur. Ils sont la perte de l’être aimé, l’ennui intolérable, la volonté de fuite, la vieillesse, la solitude et les souffrances de l’amour. Tous ces sentiments sont filmés avec pudeur, esquissés par une mise en scène qui, par l’originalité de sa démarche narrative et sa beauté plastique incontestable, évite la complaisance. Loin d’être rébarbatif, Better Things est avant tout un film vivant, loin de toute tentation contemplative, au rythme sec et tenu, à vif, sur la brèche d’un malaise palpable. Finalement, le travail de Duane Hopkins rappelle celui de certains écrivains américains des années 1980, peu ou mal adaptés au cinéma, tels que Douglas Copland ou surtout le Brett Easton Ellis de Moins que Zéro. Il partage cette volonté identique de créer un récit par des scènes courtes, éloignées de toute psychologie et concentrées sur une jeunesse droguée, désabusée, prisonnière de gestes répétitifs. Le film d’Hopkins prolonge ainsi la démarche de son compatriote Thomas Clay, auteur The Great Ecstasy of Robert Carmichael, en imaginant un nouveau cinéma anglais débarrassé des clichés et des conventions qui lui ont donné sa grandeur, mais le paralysent aujourd’hui, prêt à rentrer dans la modernité et à reprendre sa place dans le cœur de la cinéphilie internationale.

Pierre-Simon Gutman