Vse umrut a ja ostanus
Ils mourront tous sauf moi
Valeria Gaia Germanica
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Critique

LA PETITE KATIA

Trois lycéennes : leur bahut, leurs parents, leurs profs, leurs aspirations... Nous voilà repartis dans un énième portrait d’adolescente ! Avec ses passages obligés : la boum, les rivalités et règlements de comptes entre bandes rivales, au lycée ou en dehors, les oppositions avec les parents, les premières explorations sexuelles... Pourtant ici, la cinéaste adulescente (elle n’a encore que 23 ans !) réussit le tour de force de ne jamais fuir ce qui pourrait être considéré comme un cliché du genre, tout en signant un film étonnamment aride, hirsute et sauvage, tout particulièrement dans son dénouement.
La toute jeune Valeria Gaï Guermanika, autodidacte spontanée et bouillonnante, nourrit son film d’une indéniable effervescence, hormonale tout autant que formelle. Katia, sa jeune protagoniste centrale, révoltée et orgueilleuse, est prête à endurer tous les coups, mais bien résolue à ne jamais baisser la tête. Un alter ego ? Sans doute... Son style cinématographique est à l’avenant. Instinctif, immédiat, violent, incandescent. Brillant aussi. Ses longs plans en mouvement, néanmoins posés et profonds, alternant séquences actives et passives, témoignent de son urgence à filmer et à accompagner ses personnages.
Ils mourront tous, sauf moi surprend et sidère précisément là où on l’on s’attend à évoluer en territoire balisé. Il retourne la couleur, et parfois même le sens, de la plupart des éléments immédiatement identifiés de façon classique. Le ton des premières scènes est, par exemple, charmant, babillant, pétillant. L’amitié de ces trois copines, leur coquetterie naissante, leur ruse, leur impertinence : tout est mignon. Pourtant, le ton bascule irrémédiablement vers la noirceur, l’affrontement et l’errance solitaire. De même, l’opposition avec la bande d’adolescentes plus âgées se révélera plus complexe qu’on ne le pensait : chemin initiatique, modèle d’intégration à imiter ou à rejeter. À l’inverse, la relation de confrontation très vive avec l’autorité parentale (donnant lieu à des scènes parfois très crues) sera finalement nuancée par d’étonnants sentiments ambigus. Cette relation familiale amour-haine est déjà en germe (et prend, par la suite, tout son sens) dans l’attitude à la fois indifférente, lâche et expectative de la mère entendant les coups portés par le père sur sa fille. Guermanika refuse même de rendre sympathique sa Katia, lorsque cette dernière humilie la seule personne prête à lui venir en aide, la seule qui lui voue une amitié sans condition.
Vingt ans après La Petite Vera, la Russie nous renvoie enfin une nouvelle chronique forte de sa jeunesse. Bien qu’universelle dans ses thèmes et leurs problématiques, elle est en effet solidement ancrée dans les cadres et le quotidien russes d’aujourd’hui. En témoignent l’étonnante âpreté de certaines scènes ou l’absence remarquée de la télévision. La robustesse de ces adolescentes samouraïs, leur (apparente) indifférence face aux coups, mais aussi face à l’amour, n’en sont que plus saisissantes.

Jean-Christophe Berjon