Les grandes personnes
Anna Novion
x fermer

Critique

L’âge de raison

Le plus belle des élégances dont peut se revêtir un film est de nous inviter à sa suite à emprunter plusieurs pistes, à éprouver diverses émotions. Le pari est risqué car si l’intention est louable, il est néanmoins aisé de se perdre dans ce dédale de chemins de traverse. Mais lorsqu’il est réussi, il nous convie à une balade dont on aimerait qu’elle ne s’interrompe jamais. Le premier film d’Anna Novion est de ceux-là. Son point de départ est celui d’une comédie de situation : un père et une fille français se rendent sur une île suédoise pour les vacances, mais la maison qu’ils devaient louer est encore occupée par sa propriétaire, celle-ci s’étant trompée dans les dates. Un quiproquo banal, un simple accident de parcours qui au départ agace prodigieusement le héros, petit bibliothécaire féru de culture suédoise, venue là pour mettre la main sur le trésor enfoui d’un viking impitoyable. Et dans ce registre, il y a longtemps que l’on n’avait pas croisé la route d’un caractère aussi savoureux que cet Albert, paradigme des petits travers de notre beau pays (directif, méfiant, hypocondriaque, ayant une théorie incontestable sur tout y compris sur la manière de faire la vaisselle…). Une sorte de poète lunaire, un rien ridicule, avec son bermuda à carreaux et son détecteur de métaux au bras, interprété par un Jean-Pierre Darroussin plus attachant que jamais. Mais sous la carcasse de la cocasserie, la réalisatrice va laisser peu à peu apparaître les fêlures, la fragilité et la solitude. Et l’inviter à s’ouvrir à un monde représenté ici par un séduisant gynécée constitué de sa fille (Anaïs Desmoutier), la propriétaire de la location (Lia Boysen) et une belle habilleuse de théâtre (Judith Henry). Sans jamais alourdir le scénario de scènes lourdement démonstratives mais en laissant au personnage et à son acteur l’espace de jeu (cadre et durée de plan) nécessaires et suffisantes pour baisser sa garde et se révéler. Et c’est ainsi que de comédie décalée, souvent drôle, servie par un sens du dialogue tout en contrepoint et rupture de rythme (aux envolées lyriques du père répond le laconisme plein de bon sens de sa fille), le film va devenir progressivement romantique, initiatique, mélancolique. Sans jamais se disperser et en gardant au contraire une belle ligne de flottaison située entre drôlerie, tendresse, gravité et émotion. Le secret d’Anna Npvion résidant dans l’empathie sincère, nullement condescendante (un exploit de nos jours dans le registre de la comédie !) avec laquelle elle filme et accompagne ses personnages. Les composant par petites touches, autant grâce au dialogue qu’au travers de regards perdus, de soupirs résignés et d’instants dérobés par une caméra à l’image de ce premier long-métrage : toute en délicatesse et pudeur. Deux mots trop souvent galvaudés et employés à tort et à travers, auxquels la jeune réalisatrice rend ici toutes leurs lettres de noblesse.

Xavier Leherpeur