La Sangre brota
Pablo Fendrik
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Critique

SANG IMPUR

Deux adolescents font l’amour sur la terrasse d’un immeuble en plein soleil, mais ce que l’on voit d’abord, ce sont deux ombres, presque deux fantômes, au souffle haletant. Se dégagent d’eux une énergie désespérée et un désir de jouissance urgent, douloureux et vain. Eclairée par une lumière blanche aveuglante et presque surnaturelle, la séparation abrupte qui interrompt cet ébat laisse place à une éjaculation poussive, crue et violente tant le garçon semble soudainement faire abstraction de la présence de sa partenaire, laissée sur le carreau. Il partira non sans avoir pris, avant, un cachet d’ecstasy dans le sac de son amie, lui en laissant généreusement un après un bref moment d’hésitation.
Au commencement de La sangre brota, il y a donc des corps impatients, sensuels, butés et rebutés, inquiets et inquiétants. Des électrons apparemment libres mais finalement en état de survie et de dépendance totale, certes à la drogue mais aussi et surtout à l’argent. Des êtres exsangues, fiévreux et tendus, potentiellement explosifs. C’est avec une acuité singulière et perçante, dépourvue de misérabilisme, que le réalisateur argentin Pablo Fendrik capte leurs trajectoires, leurs regards, leurs respirations et leurs frôlements dans les rues de Buenos Aires. Il laisse place à des temps d’observation et de suspension aussi fébriles qu’intenses qui participent à l’instauration d’une tension latente, érotique et morbide, et à une appréhension de la réalité instinctive, pour ne pas dire animale. Dans le climat de jeu, de traque et de crainte instauré par le film, des visages marquants crèvent l’écran : celui crânement défait d’un jeune loup dealer, Leandro (Nahuel Pérez Biscayart, figure montante du cinéma argentin), celui fermé et désorienté de son père, chauffeur de taxi et joueur de bridge (l’impressionnant Arturo Goetz, déjà dans El asaltante), et surtout celui opaque et angélique d’une jeune fille mystérieuse à la beauté glaçante.
La mise en scène s’organise en chassés-croisés qui précisent progressivement les motivations et les relations des uns et des autres. Se révèlent et se resserrent alors les liens de répulsion, d’aimantation et de possession qu’ils entretiennent entre eux. Le terreau de cette pourriture n’est autre que la famille, qui phagocyte tous ses membres jusqu’à en faire des êtres primitifs, mais se lit également entre les lignes la situation d’un pays en crise qui génère des états de survie, de dépendance et de dégénérescence. Ce qui frappe ici, et impressionnait déjà fortement dans le premier long métrage de Pablo Fendrik, El asaltante, c’est l’art de ce jeune réalisateur de dépasser, de transfigurer une réalité saisie sur le vif et composée de hasards et de dépendances, pour l’ouvrir vers une dimension quasi fantastique, faire tournoyer des forces incontrôlables et barbares et retourner la réalité en cauchemar éveillé. De quoi se demander si, au final, on n’a pas vu un film de zombie ou de vampire...



Amélie Dubois