Snijeg
Premières neiges

Aida Begic
x fermer

Critique

DEPUIS QU’OMER EST PARTI

On croirait une réunion de famille tirant vers la fin. Autour de la table basse, certains fument, d’autres débarrassent les verres. Confortablement assises dans les canapés, les mamies font du tricot ou de la couture. Debout à l’intérieur du cercle, une femme s’amuse à faire deviner un proche en le mimant. Elle fait passer une mèche de ses cheveux pour une moustache. Bizarrement, personne ne reconnaît de suite Omer, pas même sa fille. Ce n’est pas la seule chose qui cloche dans l’assemblée. À bien y regarder, à l’exception d’un petit garçon, il n’y a pas d’homme. En fait de famille, c’est tout un village ou presque que le salon accueille. Quand Alma, la jeune femme qui rangeait tout à l’heure la vaisselle, dit vouloir rentrer chez elle, elle n’a que quelques pas à faire seule parmi des maisons éteintes.
En tout et pour tout, elles sont une dizaine à habiter et faire vivre Slavno, village isolé dans une colline boisée à l’est de la Bosnie. Si un carton indique que nous sommes en 1997, le film est divisé en chapitres selon les jours d’une semaine. Snijeg est marqué par cette double temporalité. Dans cette région d’Europe, c’est une date qui rappelle forcément un contexte d’après-guerre. Mais ce sont avant tout les gestes du quotidien qu’Aida Begic filme. Ceux que ces femmes, vivant dans un état d’attente active, répètent scrupuleusement comme une façon de tenir. La nécessaire poursuite de la routine, sans perdre de temps. Surtout ne pas s’arrêter. Faire ses ablutions, se nouer un foulard dans les cheveux tout en marchant, prier, couper les bûches. Combler le vide. Surtout ne pas penser à ces hommes absents dont on espère le retour, mais qui jamais ne reviendront. La consolation qu’apporte le quotidien de Slavno est qu’il n’offre pas de répit, qu’il résiste. La vie y est un combat physique de tous les instants. Il faut tirer la caisse de prunes de la réserve à la table, mettre en pot les légumes, presser les fruits, faire les confitures. Et croire que l’on pourra écouler toute cette production le long d’une route désertée.
Si Snijeg s’inscrit dans une réalité âpre, le récit fait des incursions dans des territoires plus symboliques, indices de la guerre juste passée. Les femmes parlent évidemment peu entre elles du mari ou du fils perdus, mais elles en rêvent beaucoup. Les visages rongés, les disputes et les colères soudaines trahissent également angoisse et fébrilité. Et puis, il y a ce petit garçon devenu mutique à la suite d’un traumatisme, et dont les cheveux poussent de plusieurs centimètres en l’espace de quelques heures. Un jour peut-être se confiera-t-il. En attendant, l’échéance à laquelle fait face la communauté est l’arrivée de l’hiver, mettant en évidence la difficulté même à survivre à Slavno. Alors, quand une sorte de promoteur immobilier débarque, Serbe de surcroît, et leur propose de racheter le village, chacune de ces femmes se trouve confrontée à un choix impossible.

Matthieu Darras