Adieu Gary
Nassim Amaouche
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Critique

TOTAL WESTERN

Un tunnel utérin recrache un jeune homme prénommé Samir vers la cité ouvrière de son passé. On dirait le Sud. Le temps dure longtemps. La chaleur fige la grand-rue que traverse une voie ferrée. Le sable se soulève par bourrasques. Un chien aboie. La caravane ne passe pas. Mais elle le pourrait. Adieu Gary et ses accords monocordes de guitare sèche imposent, en effet, d’emblée la mythologie du western. Il sera latin, nonchalant et jouera en permanence sur la suspension (des personnages englués dans la léthargie de l’attente, de l’inactivité et de l’ennui, mais aussi des mots : il est rare que Jean-Pierre Bacri, qui tient le rôle central de Francis, finisse, par exemple, ses phrases).  Dans cette ville destinée à devenir fantôme, dotée d’un avenir fantôme que le spectateur découvre à travers le regard du revenant, pèse aussi le fantôme d’un père. Celui de José, garçon pataud muré dans le silence. Parti avec une autre femme, il avait le menton de Gary Cooper.
Adieu Gary n’en dit jamais trop, c’est même là son atout majeur. Mais, de scènes en scènes, il saisit l’essentiel avec une délicatesse de touche qui ne s’exonère jamais d’un humour discret. Traces secrètes de la sensualité complice régnant entre ce couple (si peu) clandestin que forment Francis et Maria (Dominique Reymond), la mère de José. Rapports conflictuels opposant Francis, licencié d’une usine morte où il continue pourtant de huiler sa machine, à son fils à demi arabe, Samir, condamné à se déguiser en souris au supermarché du coin – semaine du fromage oblige - et filmé derrière une fenêtre hérissée de barreaux. Sclérose d’un travail humiliant ressenti comme une deuxième prison puisque Samir sort tout juste d’un séjour à l’ombre.
Nassim Amaouche, qui signe son premier long métrage, mêle avec fluidité panade sociale (Maria sert de cobaye à un laboratoire pharmaceutique) et mythe du retour au bled. Contraste entre une maison du peuple désertée et une mosquée pleine. Entre une génération de jeunes gens qui peine à trouver leur place et des filles qui ont « les couilles » de s’en aller (Sabrina Ouazani, Nejma, impeccable de dignité). Au cœur de l’immobilisme et d’une incommunicabilité père-fils teintée de tendresse, le réalisateur sème aussi des moyens de locomotion : un avion lézarde le ciel, une voiture roule sur les rails de la ligne de chemin de fer, les trains passent - délocalisant la tradition ouvrière de la ville vers un hypothétique ailleurs-  Abdel, le handicapé bunuelien (et le sage du film), manœuvre son fauteuil électrique. Nassim Amaouche aligne les moments de grâce (un travelling nocturne sur sa famille d’acteurs, la chanson de Nejma). Il vibre incontestablement pour le cinéma. Celui que José regarde sur un écran de télé qui diffuse en boucle les longs métrages de Gary Cooper, père de substitution mythifié.  Mais aussi celui que Francis endosse, le temps d’une séquence majeure, pour se faire, enfin, accepter.

Sophie Grassin