Adieu Gary
Nassim Amaouche
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Critique

«Le folklore sur la banlieue a gommé sa condition ouvrière»

Le réalisateur Nassim Amaouche revient sur les raisons qui l’ont poussé à choisir une cité ouvrière comme décor de son premier long métrage :

Nassim Amaouche a 32 ans et vient de signer son premier long métrage. Auparavant, il avait réalisé un court métrage de fin d’études de l’Institut international de l’image et du son en 2003 intitulé De l’autre côté, puis, en 2005, Quelques Miettes pour les oiseaux, documentaire sur un village frontière oublié entre Irak et Jordanie. Après le cortège habituel de difficultés réservées aux jeunes réalisateurs, il a convaincu son cow-boy, Jean-Pierre Bacri. Puis il déniche son Far-West, l’ancienne cité ouvrière des ciments Lafarge, au cœur de l’Ardèche. La Cité Blanche (du nom de l’épouse du fondateur des carrières), construite dans les années 1880 est le décor mélancolique et pratiquement à l’abandon dans lequel il a tourné Adieu Gary, présenté à Cannes cette année, d’où il est reparti lesté du grand prix de la critique. Une heure après avoir atterri à Cannes pour recevoir son prix, il avait répondu à nos questions.
Quelle était votre idée de départ ?
Je voulais parler des rapports sociaux dans une époque en train de se transformer. D’un côté, j’ai veillé à ne pas laisser transparaître un jugement de valeur sur ces transformations. D’autre part, je voulais absolument rompre avec un certain nombre de clichés liés à la banlieue et à l’immigration. Notamment dans la manière de filmer, sans m’interdire de faire de belles images. La banlieue, du moins telle qu’elle est perçue généralement, et au cinéma en particulier, est totalement déconnectée de l’idée d’une cité ouvrière. Pourtant, c’est ce que sont la plupart des banlieues, justement. Tout le folklore qui s’y attache a fini par faire oublier la condition ouvrière.
Manifestement, ça vous agace…
Ces questions sont très souvent traitées de manière rapide et généralisée. On emploie des raccourcis faciles pour parler de ces réalités complexes et toujours très différentes. Il y a en fait une sorte de vide politique et social. C’est pour cela que dans le film, par exemple, je montre cette mosquée qui se crée, en essayant de ne pas porter le moindre jugement de valeur. Une mosquée qui s’installe dans l’ancienne maison du peuple désertée, c’est à la fois une modification sociale plutôt sinistre mais aussi porteuse d’espoirs. C’est aussi rassurant qu’inquiétant. Heureusement que cette mosquée existe, car elle est devenue l’unique lien social de cette cité. Mais on sait aussi le danger que cela pourrait représenter. Donc, cette ambiguïté, cette nuance à ce moment du film est un des points qui me semblent réussis. J’ai la tête droite par rapport à cela.
Cette histoire est-elle liée à celle de votre famille ?
Il y a forcément quelque chose qui s’y rapporte. Mon grand-père est venu d’Algérie dans les années 60, pendant la guerre. Il a été ouvrier chez Alstom à Saint-Ouen et il a travaillé ensuite aux bains douches de Clamart. Mon père est né en Petite Kabylie. Lui aussi a été ouvrier puis il est devenu artisan thermoplastique. Il y a toujours eu dans ma famille une activité militante.
Le fait d’avoir choisi cette cité ouvrière presque abandonnée en Ardèche a-t-il changé votre scénario ?
Oui, j’avais travaillé sur d’autres pistes. Lors de la préparation, je me suis beaucoup baladé en France pour trouver le lieu. J’ai notamment visité le Familistère de Godin, à Guise, dans l’Aisne : c’est une immense cité ouvrière dans laquelle l’industriel avait prévu tous les services pour ses employés. J’ai trouvé ça horrible, sans oublier que cela aurait été très compliqué. Finalement, j’ai vu cette cité en Ardèche et je me suis renseigné sur son histoire. Comment vivaient les familles d’ouvriers à quelques pas de leur lieu de travail, comment ces industriels de la droite chrétienne les obligeaient à assister à la messe du dimanche matin, sans quoi ils étaient envoyés dans la plus mauvaise passe de la carrière la semaine suivante. C’est un drôle de truc, parce que ces industriels hygiénistes avaient le sentiment de faire le bien des ouvriers, alors qu’il s’agissait de charité.
L’accord de Jean-Pierre Bacri a-t-il constitué un atout ?
Bien sûr. J’ai beaucoup d’admiration pour son travail. Personnellement, je crois peu aux grandes compositions. Bacri fait du Bacri et moi j’achète à chaque fois. De plus, travailler avec lui, qui a fait preuve d’une grande bienveillance, a été un moment de bonheur et de générosité.
Savez-vous déjà à quel projet vous allez travailler ?
Après Gary, je voulais un dispositif léger, sans contrainte lourde de temps. Je travaille en ce moment sur un documentaire avec mon père. C’est une vieille histoire. Quand mon père était enfant, son village, El Maïn en Kabylie, a été bombardé et sa maison s’est effondrée. Personne n’a été blessé mais les ruines sont encore dans le même état aujourd’hui. Alors nous allons creuser, comme des archéologues de notre famille, pour essayer de trouver quelque chose. Je ne sais pas quoi, peut-être rien. Mais je vais filmer ça.

Par BRUNO ICHER – Libération - 22/07/2009 À 06H52