Adieu Gary
Nassim Amaouche
x fermer

Critique

«Gary» à tout prix

Fantômes. Une chronique mélancolique de naufragés du libéralisme dans une cité ouvrière abandonnée de l’Ardèche.

Adieu Gary de Nassim Amaouche
avec Jean-Pierre Bacri, Dominique Reymond, Yasmine Belmadi, 1 h 15.
Variante pas drôle du Putain de camion, un lampadaire parisien a, par un sournois destin, requalifié Adieu Gary en Adieu Yasmine. Dès lors, à compter d’aujourd’hui même, jour de sortie en salles, il ne sera plus possible de regarder le premier long métrage de fiction de Nassim Amaouche sans une sévère pointe de tristesse.
Cependant, si Adieu Gary est bien un film puissamment mélancolique, il en sourd une forme d’espoir, certes ténu, mais tout à fait réel, tel qu’incarné par Yasmine Belmadi, donc, mais aussi la plupart des protagonistes de cette chronique fragile, qui a l’élégance de ne jamais se perdre en circonvolutions.
No man’s land. Le ton est donné dès la première scène, à la fois cocasse et elliptique, qui synthétise un propos où les failles sociales, idéologiques, culturelles et économiques seront toujours plus suggérées qu’assenées. Au milieu de nulle part, une voiture glisse sur des rails et s’enfonce dans la campagne environnante. A bord, deux frères dont un, on le sait sans en connaître les détails, sort d’un séjour forcé à l’ombre. Le mot prison n’est pas prononcé. Il dit «là-bas» et cela suffit amplement. Et le moyen de locomotion, si singulier, par quel truchement a-t-il ainsi été mis en service ? On ne le saura pas, tout juste croisera-t-on, le temps d’une ou deux scènes, une sorte de mécanicien-carrossier forcément impliqué dans l’installation. Ainsi, tout du long, Nassim Amaouche va-t-il avancer avec délicatesse pour décrire le quotidien d’un microcosme de naufragés du libéralisme, échoué dans un no man’s land où, bien que dépréciée, bafouée, négligée, la vie communautaire refuserait d’abdiquer.
Engueulade. Les deux frères du début roulent vers un père qui attend le retour du «mauvais fils» avec un mélange de joie et d’inquiétude manifeste. Il fait du café, regarde par la fenêtre, tourne en rond… et accueille son rejeton par quelques banalités d’usage qui, entre deux silences, témoignent également de la pudeur ambiante. Le père, lui, s’affaire, à moins qu’il ne tue simplement le temps, sur une machine d’usine qu’il faut finir de réparer… pour rien, le travail, ayant depuis un moment déjà foutu le camp. Alors, quand engueulade il y a, le père dit : «C’est quoi cette génération ?» tandis que le fils, lui, fustige cette «fierté d’ouvrier à la con», mais veut regarder devant lui, ponctuant l’altercation d’un cinglant : «On est pas obligés de vivre comme des merdes.»
Voici de quoi est fait Adieu Gary : une addition d’existences sur la corde raide qui s’efforcent, vaille que vaille, à la lisière d’une morosité diffuse, de bricoler avec ce qu’elles ont sous la main pour confectionner un plat du jour meilleur lorsqu’il est partagé.
Entre job vaguement humiliant à la supérette, envie de «rentrer au pays» manifestée par des jeunes rebeus qui n’ont pourtant jamais rien vu d’autre que la France où ils sont nés, et trafic sans envergure de substance prohibée dans un fauteuil de handicapé, le fantastique réussit pourtant à se frayer un passage, a priori hautement improbable, à travers la visite nocturne d’un cavalier fantasmé, tout droit sorti d’une mythologie diamétralement opposée, la conquête de l’Ouest telle que magnifiée par Hollywood.
Belle séquence nocturne parmi d’autres, diurnes (et plombées par le soleil), la traversée du village est une des occasions de signaler l’aspect prépondérant du décor : une ancienne cité ouvrière, la Cité Blanche du Teil, ville fantôme de l’Ardèche dont la population est passé de 1 200 habitants, au début du siècle, à quatre aujourd’hui (lire ci-contre). Entre grandes façades blanches décrépites et platanes à l’ombre desquels il n’y a plus grand-chose d’autre à faire que glander, Adieu Gary choisit de faire couler un joli filet de vie.

Par GILLES RENAULT– Libération - 22/07/2009 À 06H52