Altiplano
Peter Brosens – Jessica Woodworth
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Critique

Le sacrifice et le pardon

Encadrant une statue de la Vierge Marie, deux garçons de cœur nous fixent des yeux, puis enfilent des masques du Soleil et de la Lune. La caméra pivote, et on découvre peu à peu une petite assemblée réunie dans une église des Andes. Aux notes d’un sextuor de musique folklorique, la procession se met en branle. En donnant à voir une cérémonie célébrant conjointement des divinités astrales et la mère de Jésus, un tel prologue situe imperceptiblement Altiplano sous le signe du syncrétisme. Convoquant de multiples références, marqués par une croyance salutaire en la force et l’adéquation du cinéma pour faire ressentir de façon sensible la complexité des choses, Peter Brosens et Jessica Woodworth inventent leur propre métissage culturel. Défini en rapport à des enjeux de société très actuels, celui-ci est à la fois fragmenté et éminemment cohérent, mystique et planétaire. Marqué par une certaine forme de rejet du matérialisme et de l’individualisme, leur vision s’accompagne également d’une ambition sous-jacente folle, cherchant les moyens possibles d’un ré-enchantement du monde.

Porté par d’excellents acteurs, d’une intensité émotionnelle incroyable, à la fois exubérant et élégiaque, tragique et lyrique, Altiplano ne répond à aucun canon en vigueur. Même sa structure dramatique décontenance, le film se scindant en son exact milieu. Cinématographiquement parlant, il n’est cependant pas difficile de tracer des filiations, avec Tarkovski notamment. Déjà la mise en scène très fluide, peu découpée, faisant se succéder des tableaux animés d’une beauté à couper le souffle, instaure un rythme, rappelant le maître russe, propice à l’exploration des âmes. Surtout, Brosens et Woodworth partagent l’idée que les malheurs de l’humanité proviennent d’un dépérissement du spirituel, et que la rédemption passe par le don de soi et l’accomplissement de gestes irrationnels.

Fiction éclatée sur plusieurs continents (le Pérou, l’Irak et la Belgique), Altiplano ne se contente pas de juxtaposer des destins. Si Grace, Max ou Saturnina ont leurs vies liées entre elles, ce ne sont pas sous les effets du village planétaire, mais plutôt car ils doivent chacun faire face à des choix éthiques qui les obligent. En particulier, les parcours des deux femmes, suivis en parallèle, ne font sens que l’un en rapport à l’autre. Tout comme la martyre chrétienne dont elle porte le nom, Saturnina cherche à ce que son sacrifice ne reste pas lettre morte. C’est justement la révélation de ce que signifie cet acte de résistance qui permettra à Grace de surmonter son aliénation, et ainsi de pardonner, autrement dit d’atteindre la grâce.

Matthieu Darras