Huacho
Alejandro Fernández Almendras
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Critique

Les guerriers de la dignité

Comme chacun le sait, c’est souvent en s’attachant aux détails les plus intimes, les plus locaux, que l’on atteint le plus sûrement une dimension universelle. Avec ce quadruple récit intimiste, Alejandro Fernández Almendras le démontre une fois de plus. Il suit, le temps d’une journée, les quatre membres d’une famille vivant dans une modeste demeure rurale. Les préoccupations auxquelles ils doivent faire face, qui peuvent paraître relever de l’anecdotique (une facture en retard, la difficulté de se faire accepter dans une bande de collégiens...), retranscrivent et symbolisent avec pudeur et justesse un état des lieux de nos sociétés à l’aube des années 10 du siècle nouveau, état des lieux sans doute plus vif encore dans les pays du tiers-monde. En adoptant un ton, un rythme et une structure très proche du documentaire, Fernández Almendras nourrit encore son propos, l’étoffe, le transcende.

Il fait ainsi apparaître, par simple effet de juxtaposition et sans le début d’un discours didactique ou intellectualisant, le sidérant fossé qui sépare les différentes générations. Entre les grands-parents ancrés dans les réalités de la terre (travaux des champs, artisanat) et les générations suivantes happées par la société urbaine, consumériste et exclusivement régentée par l’argent. Car c’est avant tout la monstruosité inhumaine du capitalisme qui saute aux yeux, par petits détails. Un fermier qui, par logique économique, dégrade son lait, deux sexagénaires dont le travail harassant semble sans valeur, une femme qui ne porte la robe qu’elle s’était offerte comme maigre récompense d’un travail ingrat... le temps de la ramener au magasin (pour récupérer l’argent indispensable aux ressources premières de la maison). Une mère qui s’inquiète de voir son fils sans le tablier rustique qu’il est censé porter par-dessus sa tenue scolaire... mais qui en ferait la risée de ses camarades plus aisés que lui. Un groupe de petites gens qui, au moment de vendre des caillés au bord de la route, tentent une hasardeuse spéculation, mais cèdent à l’individualisme face à la nécessité d’éviter la banqueroute.

Alors que les trois adultes s’accrochent à la valeur des choses, du travail humain, à la dignité, le petit dernier ne pense qu’aux éléments qui règnent dans l’univers collégien : la dernière console de jeu et les stratégies de pouvoir pour y avoir accès. Faut-il y voir un constat terrifiant pour nos sociétés futures ? Lecture un peu simpliste, direz-vous. Et si elle ne l’était pas tant que ça, à l’heure où nous avons plus d’amis virtuels sur les différents réseaux sociaux que de réels copains de chair et de sang ! À l’heure où le niveau d’une cote boursière de telle société délocalisée à l’autre bout du monde importe plus aux collectivités publiques que le sort de leurs concitoyens les plus démunis.

Selon ses traductions, Huacho signifie sillon du labour, orphelin ou guerrier. Une belle façon de cerner tout le symbolisme de ce film exigeant...

Jean-Christophe Berjon