Logorama
François Alaux - Hervé de Crécy - Ludovic Houplain (H5)
x fermer

Critique

Télé : le court métrage prend sa revanche

Réceptacle d’inventivité, le format court est pourtant marginalisé. Panorama des émissions qui s’obstinent à le défendre et présentation de Logorama et Lila, deux fictions incontournables bientôt sur Canal+.

L’éclectisme qui traverse le champ du court métrage n’est mesurable que par ceux qui fréquentent les nombreux festivals. De Brest à Brive, de Clermont-Ferrand à Pantin, les festivaliers découvrent des films dont la postérité déborde difficilement les frontières du microcosme. Absent des circuits de distribution, les courts n’ont que l’internet et les marges de la télé pour se faire connaître. De ce point de vue, le travail obstiné que mènent depuis des années les promoteurs du court à la télé – Pascale Faure sur Canal+, Christophe Taudière sur France 2, Roland Nguyen sur France 3… – n’en est que plus salvateur et essentiel à l’économie paupérisée d’un secteur fébrile, particulièrement en France.

La précieuse case Histoires courtes de France 2 offre régulièrement le dimanche soir des miracles visuels, comme l’atteste ce mois ci un cycle Vertige de l’amour, au coeur duquel se distinguent La Fille du boulanger de Claudine Bourbigot et Elisabeth Feytit, Quand nous étions punk de Pascal Rambert et surtout le magnétique Paradis perdus d’Hélier Cisterne, face-à-face renversant entre une adolescente révoltée et son père, figure raide de l’autorité qui se fissure par la voie du travestissement.

S’il reste difficile de définir les contours d’une école française du court métrage, champ bien trop erratique et étendu pour que l’on puisse tracer des lignes homogènes, Pascale Faure, responsable des programmes courts et création de Canal+, et les équipes du magazine Mensomadaire s’engagent, eux, dans une défense d’une Frenche Toutche.

Parmi la dizaine de films sélectionnés pour leur centième numéro, représentatifs d’un élan hexagonal vers des expérimentations visuelles, aux confins de l’animation, du graphisme, de l’humour et d’un imaginaire foisonnant, deux objets étranges coupent le souffle. Logorama et Lila : deux expériences visuelles et sensorielles sidérantes, d’une poésie frissonnante, d’une audace radicale, qui ont comme particularité commune d’être l’oeuvre de deux collectifs produits par la boîte adepte des “blockbusters expérimentaux”, Autour de Minuit : H5, déjà auteurs de clips (notamment The Child d’Alex Gopher) et le Broadcast Club.

Dans Logorama, pastiche de polar, mettant en scène une histoire d’enlèvement, de prise d’otages et de poursuite policière dans les rues de Los Angeles, les héros ne sont pas des Lego, comme chez Michel Gondry, mais des logos. Le méchant n’est autre que le clown de McDo, prenant en otage l’enfant d’Haribo, que tentent de sauver les flics, deux bibendums Michelin… Grâce à un système d’animation typographique époustouflant, un ballet graphique se met en branle, et chacun y reconnaîtra des centaines de logos célèbres (dont celui du PS, une rose au poing, au détour d’une course poursuite !), indices de l’emprise graphique du monde marchand sur les esprits.

La dextérité technique des réalisateurs se lie à leur sens de la narration qui s’achève dans une apocalypse digne des plus grands films catastrophes. Par le biais du clin d’oeil ludique (à la peur du “Big One”, le tremblement de terre fatal à Los Angeles), François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain, de H5, signent un film explosif.

Dans Lila, autre choc visuel, récompensé au dernier festival de Clermont-Ferrand, le collectif Broadcast Club fait d’un geste simple – enregistrer les activités d’un camping au pied de la dune du Pyla durant une journée d’été – la matière d’un film magnétique, porté par le post-rock du groupe Limousine. Durant douze minutes, les images, magnifiquement cadrées, traversent tous les filtres lumineux d’une journée, s’attardent sur des visages heureux et secrets ; à l’image de ses héros anonymes qui dansent ou sautent sur des dunes, Lila avance comme en apesanteur, léger et fort, livré à la chaleur d’un été où rien ne compte que l’abandon à la joie, aux arbres et au sable. C’est la beauté de Lila : l’expérience sensorielle à laquelle il nous invite par la seule grâce de regarder ce qui se vit là, dans un camping. L’expérimentation pop, lorsqu’elle gagne ainsi le court métrage, l’emmène vers des cieux radieux.

Le 16 octobre 2009 - par Jean-Marie Durand – Les Inrocks.com