Lost Persons Area
Caroline Strubbe
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Critique

Zone Libre

L’horizon à perte de vue. À peine obstrué par des pylônes électriques et une poignée de mobile-homes. Le paysage sur lequel s’ouvre Lost Persons Area impose déjà la marque d’un regard fort. Celui de Caroline Strubbe sur une humanité, toute entière incluse dans un panel de personnages. Marcus, chef de chantier de lignes à haute tension. Bettina, sa femme, Tessa sa petite fille, Sobolz, un ingénieur hongrois et une poignée d’autres employés. Leur quotidien dans cette plaine quasi-desertique est routinier mais traversé ici et là de quelques courts-circuits : Sobolz, ne serait-il pas secrètement amoureux de l’épouse de son meilleur ami ?
Que veut se prouver Bettina à être la seule femme dans un environnement masculin ?  L’esprit rêveur et vagabond de Tessa, gamine hypersensitive, sa manie de vouloir organiser, ranger les choses, sont-ils les premiers symptômes d’une forme d’autisme ? L’accident qui va éloigner Marcus va faire l’effet d’un électrochoc, forçant les trois autres à apprendre le sens des responsabilités.
Strubbe ne cherche jamais à guider ses personnages dans leurs apprentissages respectifs, juste à veiller, à ce qu’ils ne se perdent pas dans les méandres de la vie. Mieux que de trouver leur place, elle leur offre la possibilité d’un recours à un libre arbitre. Qui leur permettra peut-être de surmonter un point commun : cette peur bleue du rejet, que l’on soit femme hésitant entre le rôle d’amante ou de maman, étranger exilé loin de chez soi, ou enfant décryptant avec peine les rituels des adultes. Lost Persons Area est porté par une compassion d’une rare pureté, emplâtre affectueux essayant de panser des blessures à l’âme.  Sobolz, Bettina et Tessa doivent apprendre à sortir de leurs coquilles, faire leurs vrais premiers pas.
Strubbe leur en offre un nouveau avec un Big Bang organique, recontextualisant la notion d’espace vital, la régénération que peuvent offrir la Terre, l’Air et l’Eau, éléments plus que jamais fondateurs à l’écran, nourriciers de la liberté  émotionnelle et sociale que vont acquérir peu à peu ces trois-là. La mise en scène de Lost Persons Area accompagne cette émancipation pas à pas ; reste au chevet de ses personnages, comme une mère inquiète veille ses enfants fièvreux, avec un mélange d’inquiétude et d’espoir de rémission. Au point de se calquer sur leur respiration, se laisser gagner par leurs spasmes. Au final, Sobolz, Bettina et Tessa, iront tous mieux, pas au point de se passer définitivement de béquilles existentielles, mais au moins de savoir marcher debout, dignes. A  l’image d’un film aux airs de splendide chant du monde.

Alex Masson