Mal día para pescar
Álvaro Brechner
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Critique

Le lion va-t-il mourir ce soir ?

Deux étrangers débarquent dans un village tranquille. Où sommes-nous ? L’action  se déroule-t-elle de nos jours ? Ou il y a une quarantaine d’années ? Ces deux hommes sont-ils réellement ce qu’ils prétendent être : un champion du monde de lutte en tournée d’échauffement avant son prochain combat et son manager aristocrate ? Dans ce décor narratif qui s’amuse à emprunter plus d’un élément au western (saloon, parties de poker, arnaques, échanges de regards avant les duels...), on se sent en territoire connu. Álvaro Brechner ne s’en cache jamais : il va nous raconter une belle histoire, et bien assis dans nos fauteuils, nous nous préparons à un agréable voyage aux côtés de ses personnages romanesques. Il ne nous décevra pas. D’autant que rien n’est convenu, prévisible, attendu, que ce soit dans son récit ou dans la peinture de ses personnages. Sans doute parce que Brechner est d’une parfaite sincérité. Il sait manier l’art du storytelling, puise dans un certain classicisme, tout en ménageant avec constance la surprise. Et, avouons-le, il y a de l’audace et du plaisir à jouer avec modernité la carte du “cinéma de papa”...

Savoir bâtir une intrigue et maintenir un suspense est une chose, mais réussir à construire une atmosphère complexe, envoûtante, ambiguë en est une autre. La réussite de Brechner est totale parce qu’il ne se contente pas du plaisir de l’exercice de style. Derrière leur grandiloquence et leur folie douce, c’est la profondeur de chacun de ses protagonistes qui fait la force de son film. Tous sont des êtres fuyant la réalité, tentant d’en provoquer une meilleure, plus à la hauteur de leurs ambitions et de leurs rêves. Les trois héros (le lutteur, son coach et la femme de son adversaire) ont une telle soif de réussite ou de revanche, et croient tellement en leur bonne étoile, qu’ils sont prêts à défier le destin au-delà de toute raison. Avec ces figures de vieux lion blessé prêt au combat à mort pour se sentir encore en vie, de jeune femme orgueilleuse et ambitieuse qui refuse d’envisager le pire et pousse son homme aux confins de ses capacités, et celle de bluffeur superbe et d’arnaqueur attendri, la justesse psychologique reste de mise, même dans les plus rocambolesques des rebondissements. Un désespoir pudique semble habiter chaque recoin de cette narration tendue.

Depuis une dizaine d’années, le cinéma venu d’Amérique latine est l’un des plus excitants de la planète. La Semaine de la Critique n’a pas manqué de le souligner. Mais il est plus rare que Cannes puisse rendre compte de la richesse d’un cinéma latino-américain à vocation populaire. Particulièrement à l’heure où la carte cinématographique de la région sort du classique triangle Argentine-Brésil-Mexique pour emprunter les chemins de traverse péruviens, chiliens, colombiens... ou uruguayens. Espérons que cette forme de cinéma généreuse et chaleureuse puisse, dans les années à venir, trouver à son tour le chemin des salles européennes et nord-américaines.