LASCARS
Albert Pereira-Lazaro & Emmanuel Klotz
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Critique

Droit de Cité

Bienvenue à Condé-sur-Ginette, coin de banlieue à l’ombre de la grande ville. Coin de bitume ou règne le système D. Comme « débrouille, ni vu ni connu j’t’embrouille ». C’est ici que vivent Tony Merguez et José Frelate, les deux loulous les plus stars du quartier pour les initiés à leurs aventures comme à celles de la myriade de personnages de Lascars. Cette série d’animation française essaimée sur les petits écrans d’une trentaine de pays depuis neuf ans, fait marrer tous ceux qui se retrouvent dans la culture urbaine moderne, pardon, la street culture, comme on dit dans les revues pour ados. Si le monde des técis est devenu un des terrains de jeu favoris du cinéma depuis longtemps, Lascars reste une immersion sans pareil dans le quotidien des barres d’immeubles HLM. Mais surtout des barres de rire pour qui connaît déjà la série dans son format télé : des épisodes d’une minute chrono pour dépeindre le phénomène de société, comme on dit dans les gazettes, des banlieues ; mais loin, si loin d’un certain misérabilisme cinématographique, de la vision criminogèno-émeutière qu’en donnent les JT du monde entier. Le cocktail de Lascars est explosif mais  pas Molotov : moitié crédibilité absolue, par l’usage d’un langage, de rites actuels, du plan drague foireux aux taggage de murs, moitié autodérision totale via des scénarios qui virent à des concours de vannes qui font toujours mouche. Lascars c’est une version contemporaine des Pieds Nickelés, où les adeptes de petits bizness ordinaires, de l’économie parallèle comme on dit dans les ministères, portent des baskets, des baggy, et n’ont pas besoin d’un « codi » de verlan pour se faire comprendre. Lascars vise même l’inverse : être un parfait mode de décryptage de la jeunesse de nos sociétés contemporaines, ce melting-pot culturel en perpétuel renouvellement.
Un principe décuplé lorsque Lascars élargit le champ, d’un format riquiqui à 100 minutes maousses costauds. L’occasion de passer du graffiti au dazibao : là où la série avait des airs d’hilarantes mini-élucubrations, le film pousse les murs de sa banlieue d’origine pour inviter d’autres influences, artistiques ou sociales, qui tapaient à la porte : de la mangatitude à la culture blockbuster (ici on connaît aussi bien Michael Bay qu’Amer Béton), de l’émancipation des filles aux réjouissantes couleurs multi-ethniques de la France des années 2000. En passant du petit au grand écran, Lascars fait une pertinente mise à jour, aussi décomplexée que sans fards, de la vie de tier-quar . Sans oublier de participer à l’émergence d’un autre cinéma d’animation, concerné autant par les nouvelles technologies que par les nouvelles formes de récit pour montrer, avec l’acuité d’une vision de sniper –il faut regarder dans chaque coin de l’écran pour capter la globalité d’un air du temps- mais sans aucune volonté de stigmatisation, comment on vit aujourd’hui dans ces fameuses banlieues. Du cinéma version 2.0, pour se marrer sans perdre de vue une réalité dédramatisée. Wesh, mon pote, Lascars à la Maineseu d’la Critique, c’est trop d’la balle.

Alex Masson